Rémy Joffrion, Rem de son surnom d'artiste, est un être qui me semble à l'image de l'estampe, cette technique d'expression graphique dont on peut dire qu'elle est à la fois singulière dans son essence, dans son principe de base, et plurielle, dans ses techniques ou procédés, les différentes manières mises en oeuvre pour son expression, et pour l'idée de diffusion et de partage pictural qui est sous-jacente.

Un éveil précoce à la curiosité

Pour mieux connaître Rem, il faudrait remonter à son enfance, entre plaine et marais, dans la région niortaise. Le petit Rémy est le troisième d'une fratrie de quatre, lui, le "petit canard", comme il se plaît à le dire, frondeur et qui se démarque, dans ses goûts et attitudes, de l'esprit de rigueur de la famille

Une époque difficile, aussi, car la France est occupée. Pour un gamin, les jeux sont alors rares, et son imaginaire se raccroche à la nature, aiguise sa curiosité, favorisée par des parents instituteurs et l'attrait des choses rangées dans l’armoire scientifique de l’école. Flore et faune l'interpellent : des arguments pour construire de petites figurines, avec des marrons et des allumettes, ou encore des moulages en plâtre, à partir des images des Fables de La Fontaine accompagnant les tablettes du chocolat Meunier. Un crayon et du papier, et il fait des "grabouillages", souvent, à partir de ses observations…

Pourtant, dans son village, c'est alors le boulanger qui le fascine, dont il gardera le souvenir des belles senteurs de pain, mais aussi, paradoxalement, de l'odeur de son véhicule au gazogène, qu'il utilisait pour sa tournée de distribution. Il y avait là un aspect mécanique qui l'impressionnait, avec la trémie que l'artisan charge en charbon de bois, avant d'en lancer la combustion, avec l'alcool à enflammer… De quoi justifier peut-être d'une vocation de gosse, bien que l'environnement familial soit axé sur la transmission du savoir et l'éducation.

Le passeur de savoir

En fait, la guerre terminée, après ses études au collège et au lycée, il intègre l’Ecole Normale d’Instituteurs où se fait jour le désir de s’orienter vers la psychologie pour chercher à mieux connaître les autres et leurs comportements, mais afin, à n'en pas douter, de les aider à s'affirmer et se construire. Finalement il enseignera au collège diverses matières, de la technologie aux sciences physiques, pour se spécialiser dans les Sciences naturelles, un monde qu’il apprécie et connaît bien, dans le cadre d'un environnement proche qu'il sait utiliser pour illustrer ses leçons, y ajoutant l'élevage en classe de blates et de grillons, pour une observation directe de leurs comportements. La mise en pratique d'une découverte expérimentale dans l'esprit d'un Georges Charpak, promoteur de "la main à la pâte". Mais, pour lui, le partage des connaissances doit aussi être attractif, et il ajoute à la rigueur permanente de sa démarche une arme redoutable : l'humour et la fantaisie.

Une attitude qu'il cultive toujours. Cela peut parfois déstabiliser, mais c'est l'un de ses charmes !

Et il n'en a pas fini d'alimenter sa soif d'expérience ou de découverte.

Déjà, enfant, il avait étudié le violon, pendant de nombreuses années, ce qui lui avait permis d’intégrer pour un temps l’orchestre symphonique de Niort. Il y ajoutait l'écriture dans de jolis textes personnels qu'il aime à partager avec ses amis, sans négliger la culture et l’entretien de son jardin. De plus, conjointement à l’enseignement, il acceptera d'être détaché, durant dix années, au Service pédagogique du Conservatoire de l’Éducation du Musée Bernard d’Agesci de Niort, où il s’initia au difficile et enrichissant travail muséal auprès de Christian Gendron, Conservateur en chef.

Sans oublier, pour l'anecdote, qu'il s'était toujours intéressé à la mécanique. Car il est un bricoleur né, amoureux de l'outil, capable d'avoir désossé, pour la réparer, sa première voiture, une 2 CV, ou de dépanner le véhicule de celle, enseignante elle aussi, qu'il rencontrait dans nombre de ses activités, ou encore au bal des normaliens : Michèle, qui deviendra l'une des grandes dames du mezzotinto, et avec qui il partagera sa vie. Mais c'est là une autre histoire.

Et puis il y a le dessin. Rémy (il n'est pas encore Rem) aime cela. Un jour, lors d'un conseil de classe au collège de Prahecq, alors qu'il crayonne, comme souvent en cette occasion, sa collègue et amie, Marie-Claude Gendron, épouse de Christian et également directrice de l'école d'Arts plastiques de Niort, lui fera la remarque qu'il devrait s'adonner à la gravure. Fidèle à sa curiosité latente, Il suivra donc les cours du buriniste François Verdier, et se passionnera rapidement pour cette discipline picturale originale qu'est la gravure en taille-douce, et qui fait appel à des compétences qui lui correspondent.

L'art d'être grand-père : leçon de choses.
Remy et Antoine

Le chercheur d'art

Si on l'interroge aujourd'hui sur son attrait pour la taille-douce, il en trouve une justification dans sa jeunesse, où il se plaisait à dupliquer, par frottis sur du papier, l'empreinte des faces des pièces de monnaie, ou plus inattendue dans l'évocation amusée du verglas hivernal, lorsque chaussé de ses brodequins, ses glissades sur la glace traçaient des sillons blancs ! Une image, bien sûr, qui illustre sa singularité, sans entacher un sérieux à toute épreuve, jusqu'à l'esprit de perfectionnisme qui, en fait, l'habite.

On le voit, Rem est bien un être singulier mais aussi pluriel, comme l'art auquel il se réfère aujourd'hui.

Qu'on ne s'étonne donc pas de le retrouver aujourd'hui dans une activité parallèle associative, sans but lucratif, au service des artistes de la taille directe, avec un grand souci de perfection instrumentale et la complicité d'un technicien-mécaniciencréateur notoire, François Defaye : c'est la naissance de "Au Fil de laTaille-douce", qui propose des instruments efficaces et indispensables pour l'affûtage des outils de gravure : burin, pointe sèche, berceau, et même un système innovant pour le berçage du métal.

Usinage pour Au Fil de la Taille douce
François Defaye et Remy

Et en plus de cette polyvalence, il y a donc l'estampe, que Rem accompagne dans sa création d'une maîtrise assumée de cet outil difficile, emprunté aux orfèvres du XIVe siècle, qu'est le burin, et d'une connaissance désormais fine de la gravure en général, où il excelle. Où l'essentiel, pour s'exprimer en vérité et liberté, est de dominer la matière, d'en domestiquer les ardeurs, d'en compenser les faiblesses. Cette gravure, alliance superbe de la rigueur du maniement de l'outil et de la fantaisie de l'esprit, par la taille de sillons dans l'intimité du métal, est là pour inscrire le trait d'encre dans la lumière des fibres du papier, et ainsi faire naître l'image née de la pensée. Rem est un peu magicien en ce domaine, inspiré peut-être par la belle Mélusine qui, en son temps, marqua la région de sa présence. Mais il est aussi ouvrier, ouvrier d'art, un artisan dans le sens le plus noble, celui de la tradition des premiers maîtres de la gravure.

Il y ajoute son ouverture à la science, adjoignant à sa démarche créative une technique de durcissement de la surface fragile du cuivre, pour la rendre insensible à l'usure des essuyages de l'encre et à la pression de la presse taille-douce : c'est l'aciérage. Il a ainsi conçu son propre matériel et déterminé les paramètres et le protocole de cette électrolyse qui va ajouter à la gravure une infime couche de fer qui n'altère pas les tailles, et rend toute édition homogène en qualité, du premier tirage au dernier. Ce qui n'était pas le cas il y a plusieurs siècles passés.

La première presse taille douce

Un artiste au regard partageur

Rem est bien un homme d'aujourd'hui, à l'écoute de son monde, qui sait faire abstraction de la médiocrité ambiante quand elle se manifeste, être l'apôtre de la dualité du droit et du devoir, pour ne retenir que les merveilles des avancées scientifiques, des beautés de l'expression artistique en ses domaines variés, et être artiste, dans le texte et l'image, et passeur d'émotions

Ses pieds sont bien ancrés dans le sol de notre terre, dans laquelle il a ses racines, mais il a la tête flirtant dans l'univers des étoiles, comme l'indiquent certains de ses titres de gravure, qui sont des invitations au voyage et au rêve. Et ses mains expertes, à la fois sensibles et fortes, sont là pour relier ces extrêmes, entre terre et cosmos, avec souvent l'expression vigoureuse de la verticalité minérale, comme une échelle, pour les joindre. Mais il s'attache aussi au vivant, avec un regard "zoom" de découvreur, du "grand angle" à la "longue focale", qui sait se fixer, dans l'immense paysage de la nature, sur l'élément qui interpelle son esprit foisonnant et discourt avec son imaginaire. Ainsi le dessin tendre de petits animaux, le tracé nostalgique de petits riens qui symbolisent parfois le temps qui passe…

Des graphismes en noir et blanc, auxquels il se plaît souvent à ajouter, à la "poupée", des touches de couleur, pour mieux faire vibrer ses impressions,… et notre plaisir.

Pascale Darmon, Rem
Claude-Jean Darmon et Michèle Joffrion
Salon d'Automne (Octobre 2016)

Quelques notes de musique, pour conclure

Alors qu'ajouter à ce portrait bien sûr partial de Rem (comment pourrait-il en être autrement ? le connaissant), sinon qu'on aurait pu craindre d'un artiste aussi talentueux et divers qu'il ait pris l'entière conscience de ce qu'il est, et en use. Nenni, il n'en est rien. Et sa simplicité, son humilité et sa gentillesse en font un être à part, dans une époque où la société humaine se complait, pour beaucoup de ses composantes, bien souvent dans l'égoïsme, le dérisoire ou le tragique.

Cette évocation, ou plutôt ces "notes", d'une sorte de partition disons en fa mineur ou sol majeur ou encore si bémol, selon, donnent l'envie de conclure sur une petite musique de mots exprimant qu'on ne peut que l'adorer, l'ami Rémy.

Et, pour vous lecteur de ces lignes, de constater alors que la fréquentation de l'artiste peut être contagieuse en légèreté !

Gérard Robin
Novembre 2016

Rem et Michèle en démonstration
Estamp'Art 77 2010