Fugue de Johann Sebastian Bach
À la porte du marais
L’attrait du trait
Deux photos de Rem, mises côte à côte, m'ont interpellé. La première le présente en contre-jour devant une fenêtre donnant
sur son jardin, avec un violon et une partition qu'il annote : une fugue de Bach, celle de la sonate n°3, me confirmera-t-il ; mais
l'essentiel est autre. La seconde présente sa main poussant un burin, sur une plaque de cuivre à la chaude clarté, qui porte
déjà des signes, des tracés. "À la porte du marais", encore l'ouverture, sur une autre fugue, vers un ailleurs promesse de
regards et de nouvelles inspirations.
Le rapport relationnel entre ces deux visions, de Rémy à Rem, de l'interprétation musicale à la composition picturale, n'est pas
direct pour évoquer le graveur, si ce n'est, pour l'anecdote d'histoire, que, parmi les genres de gravure anciens, il y avait celui
de la musique, sur planches de cuivre ou d'étain, avec des instruments bien sûr particuliers, adaptés au tracé des lignes et au
poinçonnage des notes, clés et symboles d'écriture… Ou, plus encore, peut-être, la nostalgie du chant de l'archet sur les
cordes du violon, qui l'enchanta durant nombre d'années. Un doigté sensible qui se retrouve en gravure, par-delà le toucher
sensuel de la surface du métal, d'un poli en miroir de son visage penché, pour l'agresser familièrement de tailles, génératrices
d'une autre musique, cette fois picturale mais tout aussi vibratoire.
À moins que la baie ouverte suffise à laisse passer l'enchantement d'une nature en vie qui porte l'inspiration graphique, Rem, ajoute très souvent en contrepoint de l'exercice solitaire de son art, un accompagnement musical. Cela, non pas pour rompre le silence ou créer une ambiance : il s'agit alors d'établir une relation plus intime avec la composition mélodique, un lien propre à aiguiser la sensibilité et dialoguer avec l'imaginaire. Michèle Joffrion revendique aussi la force de cet apport dans le travail délicat et
intense de la manière noire.
Pour Rem, l'attrait du trait est une évidence, étape d'un vécu composite dont le trait d'union fut l'enseignement des sciences
naturelles, au cours de longues années d'échanges, formateurs de son trait de caractère, de ses traits d'esprit, et qui ont trait à
une grande largeur de sa pensée. Traites revendiquées du noir et du blanc, mais aussi de la couleur, pour des estampes en
partance, à la quête du coup de coeur des passants.
Comme le laisse entendre la grande fenêtre ouverte sur la quiétude de son jardin, à l'écart des bruits du monde, l'empreinte
dans le cuivre des traits de sa pensée, est donc chez lui le fait de fugues et de vagabondages de l'esprit, de sensibilité à la
découverte, de liberté d'être et de fantaisie, dont il est passé maître, et qui font toujours le charme des rencontres.
Car il y ajoute la volonté de transmettre ce que la vie et son attention lui ont apporté, avec simplicité, sourire et talent.
Merci, Rem !
Clairis
21 novembre 2016
Le "fantastico-scientifique" de Rem
Observateur infatigable de I'homme et de la nature.
Curieux de tout. Manipulateur sérieux. Expérimentateur joueur.
Côtoyer Rem, c'est voyager entre réalité et imaginaire. Le monde familier se pare des attraits de la fable. Le merveilleux fait
oublier la dérision. C'est un jeu de cache-cache entre gravité et humour.
Quand il grave une aile de papillon, des écailles de poisson, des plumes de chouette, avec la précision exacte du scientifique,
alors la fantaisie du titre "Chou-chou", "Frou-frou", arrive au galop pour équilibrer la froideur du propos. Allons plus loin :
pourquoi n'y aurait-il pas connivence entre Ie poisson et I'oiseau pour naviguer ensemble sur le même bateau, mais là le titre
semble sérieux : "Marine à voile et à vapeur". Même les parapluies à bec de cane ne peuvent s'empêcher de faire flic-floc dans
une flaque lorsque l'"Embellie" est là. Parfois les tuiles d'un toit s'animent de gros escargots en goguette, ce n'est qu'une
"Escapade".
Tout ce monde familier représente pour Rem un monde bien vivant qu'il met en situation étonnante comme pour nous dire que
chaque être vivant est là, proche de nous. Regardons-le, regardons le mieux encore. Sommes-nous si différents ? Si nous
nous interrogeons sur chacun, cette réflexion peut s'appliquer à notre espèce et ce serait sans doute dérisoire de la croire hors
du commun.
Comment s'imaginer que seul le monde vivant I'intéresse ? Ses "Vires", "Lapiaz", "Failles" nous rappellent le minéral. Quand
Rem accompagne chacun de ces mots dans ses titres de gravures de "vertige", "astral", "sidérale" ou "cosmique", il nous
plonge dans des dimensions qui nous dépassent au point de nous situer alors à notre place.
Le "fantastico-scientifique" de Rem est en fait une réalité sérieuse qui bouleverse nos habitudes de voir et nous invite à poser
un regard toujours curieux, amusé ou étonné, sur I'Autre.
MichèIe Joffrion
Peut-Être
Revue poétique et philosophique n°5 – 2014
Association des Amis de l' Œuvre de Claude Vigée
Rem, graveur, entre rigueur et fantaisie
Je me souviens d’un renard de couleur dorée, trouvé dans la vitrine de la boutique Charbonnel, quai de Montebello, que nous
avons toujours à la maison. Quelque temps plus tard, nous avons sollicité Rem pour la revue "Peut-être", revue poétique et
philosophique des Amis de "l’Œuvre"de Claude Vigée. Il nous a donné à reproduire des burins ayant l’arête aiguë de la roche et
suggérant des textures multiples, zigzaguant à la verticale ou à l’oblique avec une certaine âpreté, mais aussi des eaux-fortes
plus souples, la silhouette générale s’emboîtant dans le détail de la matière. On ne saurait négliger les titres, "Verticale
obsession" ou "Failles sidérales", entre microcosme et macrocosme, pour les burins ; et, en ce qui concerne les eaux-fortes,
"Frou-frou" pour une chouette s’inscrivant comme une vignette sur son plumage ; "Ecce homo", pour une main couturée de
lignes noires, tenue dans sa propre paume et ses lignes de vie, de chance, ses labyrinthes ; "Sourire à fleur de peau" pour le
portrait d’un éléphant plissant les yeux, sur son épiderme, dans un cadre noir. "Legato" est le titre d’un univers arachnéen
saisi sur une clarté diffuse, comme en vol. Chaque entité, inquiétante peut-être, se lie à l’autre, obstinément, comme de jeunes
enfants formant une ronde.
L’œuvre, en somme, ne trahit pas le personnage, qui aime rire, jouer avec les mots, mais n’abandonne jamais le plaisir d’une
explication rationnelle, presque docte. Michèle Joffrion parle du caractère "fantastico-scientifique" des préoccupations de son
époux, « observateur infatigable de l’homme et de la nature », et décèle chez lui « un jeu de cache-cache entre gravité et
humour ». C’est tout à fait cela. Chaque rencontre, dans les divers Salon parisiens, le confirme.
Qui plus est, il est inventeur ‒ canne à bercer, aiguise-burin, affûte-berceau ‒ et, à ce titre, célèbre parmi les graveurs. En
somme, il ne se refuse rien. Ses yeux pétillent ; il ne se prend guère au sérieux, mais les failles sidérales se découpent avec le
tranchant et la rigueur du silex. Rien de si léger, après tout. Le graveur, bien évidemment, éprouve la résistance de la matière
et du monde.
Anne Mounic
2 novembre 2016